J.O. 15 du 18 janvier 2003
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Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi
NOR : CSCL0306252X
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre la loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, adoptée le 19 décembre 2002. Les auteurs de la saisine critiquent les dispositions du B de l'article 2 ainsi que celles de l'article 16 de cette loi.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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A titre liminaire, il importe de souligner que si le recours évoque indistinctement, dans l'exposé des griefs, le B de l'article 2 et l'article 16 de la loi déférée, les dispositions de ces articles n'ont ni le même objet ni la même portée.
Il est vrai que ces deux séries de dispositions visent, chacune en ce qui la concerne, à aménager la transition entre le précédent régime législatif de la durée du travail et celui mis en place par la loi déférée. Ces aménagements répondent au double souci, d'une part, d'assurer l'intelligibilité de la règle de droit dans une matière qui se caractérise par une grande complexité et de garantir la sécurité juridique, d'autre part, de consolider les effets d'accords collectifs conclus sous l'empire des dispositions antérieures.
Pour autant, l'objet et la portée du B de l'article 2 et de l'article 16 sont différents. C'est pourquoi le Gouvernement entend répondre distinctement aux critiques portées à chacun de ces articles .
I. - Sur le B de l'article 2
A. - Le paragraphe B de l'article 2 vise à reconnaître un effet, en termes d'ouverture du droit au repos compensateur, aux contingents d'heures supplémentaires négociés avant l'intervention de la loi déférée, en application du deuxième alinéa de l'article L. 212-6 du code du travail. Cet effet sera réduit dans sa portée parce que limité au niveau fixé par le contingent réglementaire d'heures supplémentaires prévu au premier alinéa de l'article L. 212-6.
Selon les députés saisissants, les dispositions de cet article porteraient atteinte à la liberté contractuelle protégée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et méconnaîtraient les termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Les auteurs du recours invoquent, en outre, à l'encontre de la disposition critiquée le « principe de faveur » transcrit notamment à l'article L. 132-4 du code du travail, lequel aurait, selon eux, la valeur d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
B. - Ces griefs ne pourront être retenus par le Conseil constitutionnel.
1. La portée des dispositions du B de l'article 2 de la loi déférée doit, d'abord, être précisément mesurée.
Les dispositions principales du A du même article ont pour objet de simplifier le dispositif relatif au contingent d'heures supplémentaires en renvoyant désormais à la négociation de branche, avec toutes ses conséquences, la détermination du niveau de ce contingent d'heures supplémentaires.
Ce dernier est, en effet, susceptible d'emporter deux sortes de conséquences : il constitue, d'une part, le seuil qui impose de saisir l'inspecteur du travail afin de pouvoir continuer à faire effectuer des heures supplémentaires ; il détermine, d'autre part, les droits des salariés à un repos compensateur obligatoire. Dans le cadre de la législation antérieure, résultant notamment de la loi no 2000-37 du 19 janvier 2000, le niveau du contingent était en principe déterminé par décret, mais une convention ou un accord collectif de branche étendu pouvait fixer un contingent d'un niveau inférieur ou supérieur au contingent réglementaire pour ce qui concerne la seule saisine de l'inspecteur du travail. Le contingent conventionnel ne pouvait ainsi valoir que pour la saisine de l'inspecteur du travail, le contingent réglementaire s'appliquant pour la détermination des droits à repos compensateur obligatoire.
Afin d'ouvrir un champ plus large à la négociation et de simplifier le dispositif, la loi déférée a décidé d'unifier ces deux contingents au bénéfice du contingent conventionnel. Ce dernier vaudra ainsi, à la fois, pour la saisine de l'inspecteur du travail et pour le déclenchement des droits à repos compensateur obligatoire. Le contingent réglementaire ne subsistera qu'à titre supplétif, ne trouvant à s'appliquer qu'en l'absence d'accord de branche étendu traitant du contingent.
Dans ce nouveau cadre, les dispositions du B de l'article 2 prévoient que les contingents négociés antérieurement à la date de publication de la loi reçoivent plein effet tant en ce qui concerne le déclenchement de la procédure d'autorisation de l'inspecteur du travail qu'en ce qui concerne, ce qui est nouveau, le déclenchement du seuil d'application du repos compensateur obligatoire. Ces dispositions visent à aménager la transition entre l'ancien dispositif et le nouveau régime institué par la loi déférée.
En l'absence de toute disposition de portée transitoire, la novation apportée par la loi déférée aurait, en effet, conduit à faire application immédiatement du nouveau contingent réglementaire de 180 heures, dans l'attente que soient renégociés des accords collectifs conformément à la législation nouvelle. Le B de l'article 2 revient, au contraire, à privilégier les accords précédemment conclus, en leur faisant produire, au besoin, davantage d'effets que ce qu'ils avaient pu prévoir, dans la mesure où le contingent conventionnel qu'ils avaient fixé se verra reconnaître également un effet pour le déclenchement du repos compensateur. Cette dernière conséquence ne vaudra, cependant, que dans la mesure où aucune stipulation conventionnelle n'avait entendu régir distinctement le déclenchement du repos compensateur.
2. Dans ces conditions, les dispositions critiquées du B de l'article 2 ne peuvent être regardées comme portant une atteinte excessive à la liberté contractuelle résultant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou comme méconnaissant les termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
a) On peut remarquer, d'abord, que les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de remettre en cause les stipulations des accords précédemment conclus. Par elles-mêmes, elles n'interfèrent pas avec les stipulations contractuelles : elles ne reviennent pas à priver d'effet une quelconque stipulation, ni même à en affecter le jeu.
En particulier, il faut souligner que le B de l'article 2 ne saurait avoir pour conséquence de faire prévaloir une clause conventionnelle relative au « contingent-autorisation administrative » sur une clause expresse relative au « contingent-repos compensateur », dans les hypothèses, d'ailleurs théoriques, où figurerait une clause de ce dernier type dans les accords collectifs.
Ainsi, contrairement à ce qui est allégué, on peut considérer que les dispositions critiquées n'ont pas pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle ou à la participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, mais procèdent, au contraire, du souci du législateur de promouvoir la négociation collective. C'est à quoi s'emploie le B de l'article 2, dans le but d'éviter une renégociation de l'ensemble des accords de branche, en donnant davantage d'effet aux stipulations des accords précédemment signés plutôt que de faire application d'une règle uniforme déterminée par voie unilatérale. La méthode retenue par le législateur pour aménager la transition entre les deux régimes apparaît ainsi non seulement opportune et conforme à l'intérêt général, mais encore plus respectueuse des principes invoqués par les requérants que ne l'aurait été l'application d'un contingent unique fixé par voie réglementaire dans l'attente d'une renégociation générale des accords.
b) Il est vrai que, ce faisant, le législateur a décidé de faire produire à une clause conventionnelle un effet qui n'était pas nécessairement celui qu'elle recherchait.
Mais, d'une part, les conséquences de ce choix ne doivent pas être surestimées.
Il faut, en effet, relever que les partenaires sociaux n'avaient pas toujours fait, dans les accords précédemment signés, une claire différence entre le « contingent-autorisation administrative » et le « contingent-repos compensateur obligatoire ». Les accords ont souvent été ambigus, de telle sorte que l'intention des partenaires sociaux ne transparaît pas toujours avec netteté. Dans nombre de cas, on ne peut déduire des accords signés que les partenaires sociaux entendaient ne faire produire d'effets au contingent que pour la seule saisine de l'inspecteur du travail, à l'exclusion de toute autre considération.
On peut noter, aussi, que le législateur a veillé au respect des droits des salariés puisque la référence aux clauses conventionnelles ne vaudra, en tout état de cause, que dans la limite du nouveau contingent réglementaire fixé à 180 heures. Très concrètement, cela signifie que dans les branches où un « contingent-autorisation administrative » avait été négocié à un bas niveau, celui-ci non seulement subsistera, mais verra ses effets étendus au repos compensateur, alors même que ce contingent serait bien inférieur au nouveau contingent réglementaire. A l'inverse, dans les branches ayant conclu un « contingent-autorisation administrative » à un haut niveau, l'extension au repos compensateur ne vaudra, en tout état de cause, que dans la limite du contingent réglementaire de 180 heures.
D'autre part, le choix du législateur, revenant à faire jouer un effet supplémentaire à des clauses conventionnelles négociées antérieurement dans un autre contexte, peut se recommander de fortes considérations d'intérêt général, susceptibles d'être prises en compte par la jurisprudence constitutionnelle (par exemple, décision no 98-408 DC du 10 juin 1998 ; décision no 99-423 DC du 13 janvier 2000).
En l'espèce, ces considérations tiennent au souci de préserver les acquis de la négociation collective tant que de nouveaux accords ne seront pas signés et d'éviter ainsi de faire table rase des accords collectifs précédemment conclus. Le parti retenu est celui qui contribue sans doute le mieux à la stabilité des situations juridiques au cours de la période de transition. Il est aussi justifié par des considérations liées à la clarté et l'intelligibilité de la règle de droit : en prenant comme référence des contingents précédemment négociés, il est en harmonie avec le nouveau dispositif institué par la loi déférée, ce qui en facilitera la compréhension ; sa mise en oeuvre ne devrait, enfin, pas soulever de difficultés particulières, compte tenu de la simplicité de son maniement.
3. Les députés requérants se réfèrent, également, au « principe de faveur » énoncé, en particulier, à l'article L. 132-4 du code du travail.
Mais, aux yeux du Gouvernement, ce principe, tel qu'il résulte notamment des articles L. 132-13, L. 132-23 et L. 132-4 du code du travail, ne saurait se voir reconnaître valeur constitutionnelle. La place éminente qu'il occupe dans le droit des relations du travail tient à sa nature de principe fondamental du droit du travail au sens de l'article 34 de la Constitution. Il appartient donc au législateur d'en définir et, le cas échéant, d'en limiter la portée, comme il l'a fait à de nombreuses reprises au cours des dernières années, notamment en matière de durée du travail. Mais l'on ne saurait confondre les principes qui fondent la compétence du législateur avec ceux qui limitent l'exercice de cette compétence.
C'est en ce sens qu'est d'ores et déjà fixée la jurisprudence constitutionnelle. La valeur de principe fondamental du droit du travail au sens de l'article 34 de la Constitution a été reconnue à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel (décision no 67-46 L du 12 juillet 1967 ; décision no 89-257 DC du 25 juillet 1989). Elle l'est d'ailleurs aussi par le Conseil d'Etat, tant par les avis de ses formations administratives (avis d'assemblée générale du 22 mars 1973) que par ses décisions contentieuses (CE Ass 8 juillet 1994, Confédération générale du travail, Recueil p. 356). Mais il a été jugé que le principe en cause ne constituait pas un principe de valeur constitutionnelle, dès lors qu'il ne peut se rattacher à aucune disposition constitutionnelle et qu'il n'est pas au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (décision no 97-388 DC du 20 mars 1997).
Au demeurant, et en tout état de cause, on ne peut que relever qu'en l'espèce le grief tiré du « principe de faveur » manque en fait. Le dispositif vise, en effet, à faire prévaloir les accords passés comprenant un contingent inférieur au contingent réglementaire. Il ne peut que profiter au salarié. C'est en l'absence d'un tel dispositif que le régime applicable aurait été plus défavorable, dès lors que le nouveau contingent réglementaire aurait alors été appliqué dans l'attente des résultats des négociations sur les nouveaux contingents.
II. - Sur l'article 16
A. - L'article 16 de la loi déférée prévoit que les conventions ou accords collectifs de branche étendus ou accords d'entreprise ou d'établissement conclus en vertu des lois no 98-461 du 13 juin 1998 et no 2000-37 du 19 janvier 2000 sont réputés signés sur le fondement de la loi déférée.
A l'encontre de cette disposition, les parlementaires requérants invoquent, comme précédemment, la liberté contractuelle résultant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et le « principe de faveur ».
B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait accueillir cette argumentation.
1. L'article 16 a pour objet d'éviter que ne soient remises en cause des stipulations d'accords de branche ou d'entreprise, conclus sous l'empire des lois no 98-461 du 13 juin 1998 et no 2000-37 du 19 janvier 2000, qui ne disposaient pas de base légale à la date de leur signature mais auxquelles la loi déférée en confère une. Il s'agit d'un article classique, parfaitement analogue, par exemple, au I de l'article 28 de la loi du 19 janvier 2000.
La portée de l'article est d'ailleurs limitée. Il se borne à permettre à des clauses d'accords qui n'étaient pas conformes aux dispositions législatives précédentes, plus restrictives, de trouver une base légale dans la nouvelle loi, à la condition du moins que ces clauses soient conformes à la nouvelle loi. En revanche, il ne conduit nullement à valider des stipulations précédemment illégales qui ne trouveraient pas de base légale dans les nouvelles dispositions législatives. Il ne vaut, de plus, que pour l'avenir et n'emporte pas validation rétroactive des stipulations illégales qui ne seront réputées valides qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi déférée.
Cet article a ainsi pour finalité d'éviter aux partenaires sociaux de devoir renégocier des stipulations identiques à celles qui avaient été précédemment conclues, mais qui étaient alors inapplicables en raison de leur contrariété avec la législation en vigueur à cette date.
2. Dans ces conditions, les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté contractuelle ou du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ne pourront qu'être écartés comme manquant en fait.
En effet, loin de conduire à remettre en cause la volonté des partenaires sociaux lorsqu'ils ont signé l'accord de branche ou d'entreprise, l'article 16 vise, au contraire, à donner tout leur effet aux stipulations conventionnelles.
De fait, certaines stipulations des accords précédemment conclus demeuraient inapplicables en raison de leur contrariété avec les dispositions législatives en vigueur à la date de leur conclusion. S'agissant des accords de branche, ces stipulations avaient d'ailleurs fait l'objet, lors de l'arrêté d'extension, soit d'exclusions, soit de réserves d'interprétation destinées à en neutraliser les effets en ce qu'elles avaient de contraire à la loi. Dès lors que ces stipulations sont conformes aux dispositions de la nouvelle loi, l'article 16 leur donnera une base juridique justifiant leur application au niveau des accords d'entreprise et la levée des exclusions et réserves au niveau des accords de branche.
A titre d'exemples, on peut mentionner certaines stipulations relatives à la durée annuelle de 1 600 heures, à la définition des cadres pouvant relever d'une convention de forfait jours, à la définition des itinérants non cadres, ou à la monétarisation du compte épargne-temps. Ainsi, les clauses des accords qui avaient fait référence à une durée annuelle constante de 1 600 heures, quelle que soit l'année, et non à l'application exacte du calcul de 35 heures en moyenne comme l'exigeait la législation antérieure, deviennent valides. S'agissant du compte épargne-temps, les clauses des accords collectifs d'entreprise ou d'établissement déjà conclus prévoyant une monétarisation du compte reçoivent, du fait de la loi déférée, une base légale dès lors qu'elles comportent l'indication des modalités de valorisation en argent des éléments monétaires du compte et limitent la monétarisation des jours de congés payés à cinq jours par an.
Pour les cadres susceptibles de conclure des conventions de forfaits jours, la définition des cadres autonomes susceptibles d'être concernés par le forfait jours, définis à l'article L. 212-15-3-III du code du travail, est élargie dans la mesure où les trois critères cumulatifs préexistants - durée du temps de travail non déterminée du fait de la nature des fonctions, responsabilités exercées, degré d'autonomie pour l'organisation de l'emploi du temps - sont remplacés par un seul critère relatif à l'autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Les accords qui auraient visé des catégories de salariés répondant au seul critère d'autonomie trouvent ainsi une base légale par l'effet des dispositions de l'article 16.
On doit souligner, enfin, que l'article 16 ne porte pas atteinte à l'équilibre des accords, puisqu'il permet au contraire de remettre en vigueur des stipulations qui constituaient l'un des éléments constitutifs de l'accord. La question de l'équilibre de l'accord se posait, en réalité, lors de l'extension, le ministre chargé du travail devant apprécier, lorsqu'il envisageait d'exclure de l'extension certaines stipulations en raison de leur contrariété avec la loi en vigueur, si une telle exclusion partielle ne portait pas atteinte à l'équilibre d'ensemble de l'accord tel qu'il avait été négocié par les partenaires sociaux. En permettant de donner un effet de droit à ces stipulations, l'article 16 ne peut que conduire, contrairement à ce qui est soutenu, à restaurer l'équilibre contractuel.
3. L'argumentation des députés requérants fondée sur le « principe de faveur » ne pourra pas davantage être retenue.
Outre que le principe invoqué, ainsi qu'il a été dit précédemment, n'a pas valeur constitutionnelle, il sera fait observer que le grief, en tout état de cause, manque en fait. L'article 16 ayant pour seul objet de donner un fondement légal pour l'avenir à des stipulations qui sont conformes aux dispositions de la loi déférée, il n'a pas, par lui-même, pour effet d'écarter l'application du principe fondamental du droit du travail selon lequel les conventions ou accords collectifs du travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur.
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En définitive, le Gouvernement considère qu'aucun des griefs invoqués par la saisine n'est de nature à justifier la censure des dispositions critiquées de la loi déférée. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.